Koulsy Lamko

Pourquoi la France est directement responsable de la crise démocratique au Tchad ?

Par Koulsy Lamko

Bien futé qui comprenne et démêle les fils de l’écheveau que constitue la politique française au Tchad. Que la France vienne au secours de son protégé Idriss Déby, ce n’est que « répétition de l’histoire ». Elle a maintenu pendant deux décennies un potentat corrompu, un régime clanique qui a étalé les preuves de son incapacité criante à améliorer la vie des populations, qui règne par la terreur, les fraudes électorales, l’instrumentalisation de l’élite et de la classe politique, l’intimidation de la société civile, la corruption généralisée, le détournement des deniers publics et leur affectation à l’achat massif d’armement, etc. Mais qu’elle étale les tergiversations et les mensonges, qu’elle plastronne sur les cadavres encore tout chauds de Tchadiens, est lamentable. En encensant les chefs guerriers « roman- tiques spécialistes de rezzous » pendant des décennies, en en faisant des alliés inconditionnels d’une politique néocoloniale, la France a non seulement conforté l’idée que le pouvoir se trouve « au bout du canon » – si médiocres en soient les artilleurs, prédateurs mus par des intérêts de clan –, mais elle a annihilé par là même – et pour les décennies à venir – toute velléité d’alternance démocratique authentique. Idriss Déby, les rebelles Timan Erdimi ou Mahamat Nouri, pour les Tchadiens épris de paix, de liberté et de justice, c’est blanc bonnet et bonnet blanc… Des membres d’une même famille et leurs comparses se battent pour le partage du gâteau : le pouvoir et la rente pétrolière, qui demeure la seule source de revenus après la liquidation de toutes les entreprises. De piètres politiciens sans idéals sans programme et dont on peut aisément dresser la liste des crimes politiques et économiques ! Que l’un protège son pouvoir au point de se re- trancher dans un bunker au milieu de la population prise en otage, que les autres, à sa porte, brandissent comme programme le « nous voulons partager le pouvoir avec lui », voilà qui est assez révélateur des intentions sans noblesse aucune. Enfin, que l’un assure servilement le relais de la Françafrique tandis que les autres se sont laissé instrumentaliser par le Soudan dans l’affaire du Darfour corrobore les insuffisances cruelles d’un leadership dont les carences laissent au pied du crépuscule un peuple meurtri barbotant dans une indicible misère. Le Tchad agonise désespérément depuis des dizaines d’années. L’épisode de « l’Arche de Zoé » est manifeste d’un désamour patent inspiré par la misère. Dans ce pays muselé, c’est bien la population « la grande muette », et non l’armée dont les centaines de généraux d’opérette, pour la plupart analphabètes, écument les régions et en font leurs prébendes.
 
Quant aux récents événements, on peut difficilement affirmer que l’armée française n’était pas avertie de l’avancée des rebelles, auxquels les médias français officiels ont même accordé de larges temps d’antenne. Les déclarations de la diplomatie française telles que « la France est neutre », puis que la France n’est « pas tout à fait neutre », et en- fin que la France soutient « le gouvernement légal du Tchad et assumera ses responsabilités », elles mettent au jour la duplicité sans états d’âme constamment entretenue depuis des décennies. On fait croire aux rebelles que le pouvoir leur est offert sur un plateau d’or. Leur réaction en dit d’ailleurs assez long, à les entendre s’égosiller au plus fort de leur victoire éphémère : « Les intérêts français sont préservés et seront encore mieux garantis. » Puis on met en place un dispositif secret qui coordonne la contre-offensive et défait les mêmes rebelles. On peut d’ailleurs à ce sujet se demander ce qui a dû peser dans la balance et orienter le choix décisif de la fidélité à Déby : marchandages autour de l’exploitation des gisements de pétrole du Moyen Chari ? Les dés sont jetés !
 
Que des centaines de Tchadiens aient péri, que des milliers soient blessés et des dizaines de milliers soient réfugiés, peu importe pour le gouvernement français et ses officiers du COS. Géostratégie, contrôle de gisements de pétrole et autres minerais, préservation d’in- fluences « civilisationnelles », les enjeux sont énormes pour que la « métropole » lâche du lest. En Françafrique, face aux intérêts, aucun prix n’est jamais assez fort à payer, soit-il le sacrifice de centaines de milliers de vies humaines. Le génocide des Tutsi au Rwanda est assez éloquent à ce sujet. Si Sarkozy a poussé le cynisme jusqu’à exiger d’Idriss Déby la grâce des six prisonniers de l’affaire de l’Arche de Zoé, pendant que des milliers de Tchadiens pleurent leurs morts, qu’il lui commande donc tout autant de libérer les chefs de l’opposition politique injustement incarcérés et dont le seul « crime » réside dans la naïveté de croire à un système d’alternance politique basé sur une Constitution, et cela dans un contexte d’occupation militaire clanique et de néocolonisation relayée.
 
Que fait la France au Tchad ? Bien inspiré qui répondrait sans bafouiller ! La sempiternelle valse à temps variables et le sourire d’Hervé Morin à N’Djamena sur les lieux du crime en disent long. Il serait néanmoins extrêmement grave que la guerre du partage des ressources du pétrole entre comparses et parents soit l’alibi d’une purge politique. Ces figures politiques sont symbole de la volonté des populations d’adhérer à un processus de démocratisation pacifique, et embastiller le symbole s’interpréterait tout aussi aisément comme sym- bole. Il est absolument impératif que la France cesse ce jeu de valse cynique. Il lui reste de permettre que s’organisent des as- sises nationales, une mise à plat nécessaire de l’histoire récente de ce pays rythmé par moult guerres civiles, que s’ouvre un espace de vérité, de justice et de réconciliation, et que le peuple choisisse librement ses dirigeants.
 
En définitive, la Françafrique sort victorieuse de la guerre de N’Djaména en ayant accru la misère des populations tchadiennes jetées sur les chemins de l’exil et contribué à la gangrène potentielle de tout le territoire, où vont désormais se déployer les groupes armés rebelles. La Françafrique serait-elle en train d’opérer la mutation vers l’Eurafrique annoncée par Sarkozy à Dakar ? Sa stratégie désormais consiste à dorer la pilule en associant l’Europe à ses desseins inavoués. Dans tous les cas elle a de beaux jours devant elle. Une chose est certaine, les « ruptures » dans les relations franco-africaines semblent être reléguées aux calendes grecques. Les ruptures, les Africains francophones devraient enfin apprendre à les amorcer eux-mêmes en en prenant l’initiative ferme. Le défi reste encore bien celui de la libération de la tutelle des puissances colonisatrices, cinquante ans après l’obtention d’indépendances formelles.

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